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Léon Blum : « Nous sommes un Gouvernement de Front populaire » (discours du 6 juin 1936)

Un mois après la victoire du Front populaire, Léon Blum se présente devant la Chambre des Députés.

Messieurs, le Gouvernement se présente devant vous au lendemain d’élections générales où la sentence du suffrage universel, notre juge et notre maître à tous, s’est traduite avec plus de puissance et de clarté qu’à aucun moment de l’histoire républicaine.

Le peuple français a manifesté sa décision inébranlable de préserver contre toutes les tentatives de la violence ou de la ruse les libertés démocratiques qui ont été son oeuvre et qui demeure son bien.

Il a affirmé sa résolution de rechercher dans des voies nouvelles les remèdes de la crise qui l’accable, le soulagement de souffrances et d’angoisses que leur durée rend sans cesse plus cruelles, le retour à une vie active, saine et confiante.

Enfin, il a proclamé la volonté de paix qui l’anime tout entier.

La tâche du Gouvernement qui se présente devant vous se trouve donc définie dès la première heure de son existence.

Il n’a pas à chercher sa majorité, ou à appeler à lui une majorité. Sa majorité est faite. Sa majorité est celle que le pays a voulue. Il est l’expression de cette majorité rassemblée sous le signe du Front populaire. Il possède d’avance sa confiance et l’unique problème qui se pose pour lui sera de la mériter et de la conserver.

Il n’a pas à formuler son programme. Son programme est le programme commun souscrit par tous les partis qui composent la majorité, et l’unique problème qui se pose pour lui sera de le résoudre en actes.

Ces actes se succéderont à une cadence rapide, car c’est de la convergence de leurs effets que le Gouvernement attend le changement moral et matériel réclamé par le pays.

Dès le début de la semaine prochaine, nous déposerons sur le bureau de la Chambre un ensemble de projets de loi dont nous demanderons aux deux assemblées d’assurer le vote avant leur séparation.

Ces projets de loi concerneront :
– L’amnistie,
– La semaine de quarante heures,
– Les contrats collectifs,
– Les congés payés,
– Un plan de grands travaux, c’est-à-dire d’outillage économique, d’équipement sanitaire, scientifique, sportif et touristique,
– La nationalisation de la fabrication des armes de guerre,
– L’office du blé qui servira d’exemple pour la revalorisation des autres denrées agricoles, comme le vin, la viande et le lait,
– La prolongation de la scolarité,
– Une réforme du statut de la Banque de France, garantissant dans sa gestion la prépondérance des intérêts nationaux,
– Une première révision des décrets-lois en faveur des catégories les plus sévèrement atteintes des agents des services publics et des services concédés, ainsi que des anciens combattants.

Sitôt ces mesures votées, nous présenterons au Parlement une seconde série de projets visant notamment le fonds national de chômage, l’assurance contre les calamités agricoles, l’aménagement des dettes agricoles, un régime de retraites garantissant contre la misère les vieux travailleurs des villes et des campagnes.

À bref délai, nous vous saisirons ensuite d’un large système de simplification el de détente fiscale, soulageant la production et le commerce, ne demandant de nouvelles ressources qu’à la contribution de la richesse acquise, à la répression de la fraude, et surtout à la reprise de l’activité générale.

Tandis que nous nous efforcerons ainsi, en pleine collaboration avec vous, de ranimer l’économie française, de résorber le chômage, d’accroître la masse des revenus consommables, de fournir un peu de bien-être et de sécurité à tous ceux qui créent, par leur travail, la véritable richesse, nous aurons à gouverner le pays.

Nous gouvernerons en républicains. Nous assurerons l’ordre républicain. Nous appliquerons avec une tranquille fermeté les lois de défense républicaine. Nous montrerons que nous entendons animer toutes les administrations et tous les services publics de l’esprit républicain. Si les institutions démocratiques étaient attaquées, nous en assurerions le respect inviolable avec une vigueur proportionnée aux menaces ou aux résistances.

[…]

Je sais très bien que, pour nos amis radicaux, le but n’est pas la transformation du régime social actuel, je sais très bien que c’est à l’intérieur de ce régime et sans penser à en briser jamais les cadres qu’ils cherchent à amender et à améliorer progressivement la condition humaine.

En un sens, ce qui est pour nous un moyen est pour eux un but, ce qui est pour nous une étape est pour eux un terme, mais cela n’empêche pas que nous n’ayons un bout de chemin et peut-être un long bout de chemin à parcourir ensemble !

Vous êtes, messieurs, des esprits vétilleux et rigoureux que cette alliance a l’air de choquer.

Si elle vous choquait – et je suis ravi qu’il n’en soit rien – je vous rappellerais qu’elle est aussi ancienne que la République en France, je vous rappellerais que les origines de la République en France ont été trois fois de suite des origines populaires et révolutionnaires.

Je vous rappellerais que, chaque fois que la République a été menacée, elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie et du peuple républicains, et de la masse des travailleurs et des paysans.

Cette alliance s’est manifestée sous bien des formes. Cela s’est appelé « le soutien », cela s’est appelé « le cartel », cela s’est appelé « la discipline républicaine », c’est-à-dire cette règle acceptée indistinctement par les uns et par les autres et qui fait que, depuis plus de cinquante ans, au second tour de scrutin, le Front s’est formé contre la réaction.

Après les élections de 1924 et surtout après celles de 1932, on a amicalement raillé notre impuissance à constituer ensemble un gouvernement. Eh bien ! messieurs, réjouissez-vous. Ce que vous avez tant souhaité est fait aujourd’hui.

[…]

Nous sommes des socialistes, mais le pays n’a pas donné la majorité au parti socialiste. II n’a même pas donné la majorité à l’ensemble des partis prolétariens. Il a donné la majorité au Front populaire.

Nous sommes un Gouvernement de Front populaire, et non pas un Gouvernement socialiste. Notre but n’est pas de transformer le régime social, ce n’est même pas d’appliquer le programme spécifique du parti socialiste, c’est d’exécuter le programme du Front populaire.

Je dis cela aussi clairement et aussi nettement devant vous que je l’ai dit devant le congrès de notre propre parti.

Nous sommes au pouvoir en vertu du pacte constitutionnel et des institutions légales. Nous n’en abuserons pas.

Nous restons fidèles à l’engagement que nous contractons en entrant dans le Gouvernement et en demandant aux chambres leur confiance.

Nous demandons que personne ne songe à en abuser contre nous.

Nous demandons qu’on n’abuse pas de ce pacte constitutionnel et de ces garanties légales que nous acceptons, qui restent notre loi, pour refuser aux masses populaires du pays, à la majorité du pays, les satisfactions nécessaires qu’il espère et qu’il attend.