
Notre combat s’inscrit dans le temps long, dans cette guerre de position théorisée par Antonio Gramsci. Ce long terme est d’autant plus nécessaire que l’espoir semble disparaître à l’horizon, que la menace de l’extrême droite toque de plus en plus fort à nos portes. Mais dans ce temps long qui forme notre horizon, nous ne pouvons oublier que la guerre se mène aussi dans le mouvement.
Lutter est de plus en plus dur, de plus en plus décourageant, et apparaît voué à l’échec.
Nos moyens de lutte privilégiés, la manifestation, la grève, le rassemblement en syndicats et/ou en partis politiques semblent délaissés et perdent en efficacité.
Le socialisme en France est devenu un mot désuet, utopique, rattaché à une idéologie diluée par les ans et les usages, et dont les principaux penseurs sont morts avant notre naissance.
Comment pouvons-nous lutter dans un monde qui nous a relégués au siècle dernier ?
Peut-être nous sommes nous nous-mêmes relégués au passé. Sans prendre en compte les mutations de la société, en pensant que la constance idéologique passe par la constance des moyens.
Peut-être avons-nous oublié, électrisés par les victoires passées, qu’elles se gagnent dans les urnes mais se mènent dans les écoles, dans les foyers, dans les bureaux. Nous ne pouvons espérer en un sursaut soudain d’humanité, qui nous mènerait au pouvoir en deux ans. Ni croire qu’une stratégie électorale suffira, qu’un accord inter-parti fera oublier que la gauche ne fait plus que 30% dans ce pays ou que deux ou trois interventions bien senties lors d’un débat télévisé nous sauveront du néant idéologique et de la disparition politique.
Il nous faut repenser notre position, tant doctrinale que spatiale. Nous ne gagnerons pas seulement sur le plan politique. Nous gagnerons en reconstruisant la société civile.
Et pour cela, seule la bataille culturelle est à mener. En récupérant les médias, en investissant les réseaux sociaux, en refusant de constamment jouer sur le terrain de l’extrême-droite, en introduisant les idéaux socialistes de justice, d’égalité, de solidarité, dans chaque aspect de cette société.
Décalons la fenêtre d’Overton vers la gauche, exigeons l’abolition de la prison, l’accueil de tous les réfugiés, la réquisition des logements vides, une taxation radicale de l’héritage, la suppression des écoles privées, le droit à la grève perlée, l’impôt selon la nationalité, le droit de vote à 15 ans, un revenu universel pour chacun.e, exigeons le respect du droit international, exigeons des droits humains toujours plus extensifs, exigeons le respect de ces droits avec la force et le devoir imposés par notre humanité.
Finissons-en avec les demandes et affirmons notre intransigeance dans nos ambitieuses exigences.
Et menons la lutte dans chaque aspect de nos vies. Menons la lutte contre cette indifférence crasse dont se nourrit le totalitarisme pour grandir dans notre société. Luttons ensemble, formons-nous ensemble, créons des lieux où naîtront des progrès intellectuels de masse.
Il nous faut croire en l’humanité. C’est bien là le seul espoir qu’il nous reste. Il nous faut croire qu’en chaque personne vit cette humanité qui les poussera vers la justice et la bonté si nous la laissons pousser et s’épanouir.
Car là est tout le sens de notre engagement : d’estimer que le monde doit changer et que nous ne pouvons le changer seul.
Que face à l’injustice, il nous faut lutter ensemble. Que face à la déliquescence du monde par l’indifférence, il nous faut retisser des liens. Que face à la haine, il nous faut faire société.
Nous ne pourrons nous libérer qu’en libérant l’autre. Nous ne pourrons changer le monde qu’en changeant notre monde.
L’hégémonie culturelle actuelle est basée sur un capitalisme individualiste qui nous vend des mirages de liberté dans la solitude de l’identité personnelle comme finalité. Qui nous présente la situation du monde comme la voie de la raison, la suite logique et évidente de l’évolution de l’humanité, l’avènement de la liberté.
Mais quelle liberté est possible lorsqu’elle est payée avec le sang de la servitude et de l’exploitation ? Quelle liberté est possible lorsque notre planète se meurt dans un grand cri que nous tâchons d’étouffer ? Quelle liberté est possible lorsque nous sommes encore en cage, enchaînés dans une prison dont les barreaux forment nos vies ?
Si la révolution est l’orbite qu’un astre décrit périodiquement autour d’un corps céleste, alors menons notre propre révolution, proposons un bouleversement complet de paradigme. Nous ne souhaitons pas seulement changer d’orbite mais bien changer de soleil.
Alors que cette organisation du monde prospère dans notre solitude, notre manque d’organisation, notre méfiance de l’autre, opposons-lui notre solidarité, notre révolte, notre confiance.
Lorsque tout vise à nous diviser, aimer le monde devient un acte de résistance, créer du lien une révolte, refuser de traiter les êtres comme de simples objets de consommation ou des statistiques une révolution. Là est la base de la position que nous devons tenir, là est la base de notre devoir au monde.
Seulement ensuite pourrons-nous gagner la guerre de mouvement par les urnes. Sur ce terrain de jeu délimité par les superstructures, aux dés pipés et aux règles injustes, il nous faut jouer selon le guide. Il nous faut apprendre chacune des règles, chacun des recours, de chacune de nos erreurs et de chaque victoire de nos adversaires. Seulement en gagnant ce jeu seront nous légitimes à le transformer. Dans l’attente, proposons un nouveau monde. Changeons de soleil.
Poème Cabon