Le 10 mai 1981, au départ, comme le dit la chanson d’Alex Beaupin, était élu le premier Président de la République socialiste de la Vème République, en la personne de François Mitterrand. Si cette élection n’a pas abouti à l’avènement du socialisme, en France, elle a au moins permis l’application des lois Auroux (du nom du Ministre du Travail, de l’époque, également Maire de Roanne). Ces lois, sur lesquelles travailla pour l’anecdote Martine Aubry, permirent de prendre davantage en considération les millions de travailleuses et de travailleurs de ce pays, et d’en faire enfin « des citoyen-ne-s à part entière dans l’entreprise ». En effet, les comités d’entreprises furent enfin obligatoirement pourvus d’un budget (l’entreprise devant financer son comité). Le droit de retrait et le droit d’expression furent accordés aux salarié-e-s. Les comités d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) furent créés et marquèrent la démocratie sociale française, jusqu’à ce qu’ils soient fragilisés par Myriam El Khomri, puis achevés par Macron. Les ordonnances Auroux avaient préalablement ramené le temps légal du travail hebdomadaire à 39 heures, l’âge de départ légal à la retraite à 60 ans, et avaient accordé une cinquième semaine de congés payés aux travailleu-r-se-s. La cogestion fut même évoquée, mais les syndicats ne furent pas au rendez-vous. Grâce à ces réformes l’entreprise n’est plus le lieu « du bruit des machines et du silence des hommes », mais du chemin reste à parcourir, avant de parvenir au socialisme.
Les questions, que nous devons, maintenant, socialistes, nous poser sont celles-ci : « Si demain nous étions aux responsabilités -le règne du macronisme n’étant pas éternel, la victoire des forces réactionnaires n’étant pas inéluctable- que ferions-nous concrètement pour améliorer le sort des travailleuses et travailleurs de France ? Quel visage prendrait nos « nouvelles lois Auroux » ? »
En ce qui concerne l’amélioration des conditions de travail, nous devons porter une diminution du temps de travail effectif, en réaffirmant les 35 heures comme durée légale du travail hebdomadaire. Pour ce faire, il faut refiscaliser les heures supplémentaires et baisser le temps de travail maximum autorisé sur une semaine, qui est de 48 heures, à 40 heures. La sixième semaine de congés payés, déjà accordée par de nombreuses entreprises, doit être mise en place pour l’ensemble des salarié-e-s ; il s’agirait là d’une mesure de justice. L’échelle des salaires doit être rétablie. Les salaires doivent augmenter grâce à un meilleur partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise. Les baisses de cotisations ne sont jamais une solution, contrairement à ce que peuvent dire les droites, elles fragilisent toujours notre système de protection sociale. Si des baisses de cotisations il devait y voir, il faudrait qu’elles soient compensées par de nouvelles recettes. On peut reprendre à ce sujet l’idée des insoumis, qui proposent la création d’une caisse de péréquation, qui permettrait de davantage taxer les plus grosses entreprises (par des surcotisations sur les hauts salaires, une taxe sur les superprofits, etc.) pour permettre aux petites entreprises d’augmenter les salaires sans se fragiliser. La semaine de 4 jours et les 32 heures ne doivent pas être mis sous le tapis, et doivent être expérimentées, dans les plus grandes entreprises (et celles volontaires, naturellement). On peut imaginer que ces expérimentations conditionneraient une partie du versement des aides publiques allouées aux entreprises. Le conditionnement des aides publiques à destination des entreprises est une question fondamentale pour réorienter nos politiques entrepreneuriales.
Pour ce qui relève de la gestion des entreprises -nous l’avons déjà écrit dans le billet relatif à notre idéal de société-, nous entendons à terme nous passer des propriétaires, des capitalistes. Nous ne voudrions pas qu’il soit permis à des individus, dotés de capitaux importants, le plus souvent grâce à l’héritage, de posséder des parts d’entreprises pour vivre du labeur des travailleuses et des travailleurs. En effet, sans les salarié-e-s et leur travail, nous l’avons bien vu durant la crise de la covid, les capitalistes ne pourraient pas accumuler du capital. Cette amnésie du côté de la classe dirigeante est toujours sidérante. De fait, il est pour nous impensable que celles et ceux qui créent la richesse soient écarté-e-s du processus de prise de décisions. Pour ces raisons, nous sommes d’ardent-e-s défenseur-e-s des modèles coopératifs et autogestionnaires. Cependant, nous savons que ces modes de gouvernance nécessitent une expérience des salarié-e-s, et une véritable culture qui n’existent pas encore. Réformistes, nous adoptons une position gradualiste. Certes, il faut encourager, dès maintenant, les coopératives et les entreprises autogérées, mais nous devons nous évertuer d’abord et avant tout d’imposer à l’ensemble des entreprises de plus de 10 salarié-e-s la cogestion, aussi appelée codéterminationafin de faire naître cette culture nouvelle. La cogestion permettra enfin aux salarié-e-s de détenir la moitié des sièges des conseils d’administration, l’autre partie sera toujours composée des actionnaires. Cette mesure aura l’avantage de replacer les syndicats au cœur du fonctionnement des entreprises, car il ne peut y avoir de véritable dialogue social si les syndicats sont faibles quand il s’agit de négocier avec le patronat.
Il est néanmoins important de rappeler que la cogestion est pour nous une étape. En effet, nous pensons que les travailleu-r-se-s n’ont ni vocation à gérer le capitalisme : ils doivent, au contraire, faire advenir le socialisme, ni vocation à avoir un état d’esprit corporatiste car cela les détournerait des luttes qui restent à mener.
Pour ce qui est de la progression du nombre de coopératives ou d’entreprises autogérées, il faut réfléchir aux questions du soutien économique via la banque publique d’investissement, et de la transmission des capitaux, qui se fait actuellement par l’héritage. Aussi, pour aller vers un modèle social plus avancé, nous devons nous protéger de la mondialisation néo-libérale qui s’évertue méthodiquement de faire régresser nos droits sociaux. Nous aurons tout le loisir de traiter de ces questions dans un prochain billet. En conclusion, aspirant à gouverner et à défendre les intérêts des masses laborieuses, il nous faut porter un discours fort au sujet de la démocratie sociale. Quatre décennies après les ordonnances et les lois Auroux, nous devons dessiner les traits de nos politiques futures en matière d’amélioration des conditions de travail. En effet, les travailleurs et les travailleuses qui nous porteront au pouvoir devront voir leur situation s’améliorer. Nous baisserons le temps de travail, sans pertes de salaires, voire avec des augmentations, grâce à un meilleur partage de la valeur ajoutée. Les administrations des entreprises prendront davantage en compte les intérêts de celles et ceux qui créent la richesse. Enfin, comme il ne peut y avoir de démocratie sociale sans représentation des salarié-e-s à la table des discussions pour les prises de décisions, nous imposerons la cogestion, afin de préparer, pour demain, la socialisation des moyens de production.